Le tourisme : une industrie fragile qui se ré-invente
Nous l’oublions parfois, mais le tourisme représente 10% du PIB mondial, 7% du commerce international et 30% des exportations de services, selon l’OMT (l’Organisation Mondiale du Tourisme). Son chiffre d’affaires égale, voire dépasse celui des industries pétrolière, automobile ou agroalimentaire dans de nombreux pays. Il devient aussi une des principales sources de revenus de beaucoup de pays en développement. Ceci va de pair avec une accélération de la diversification et de la concurrence entre les destinations. Un emploi sur 11 dans le monde provient du tourisme, si l’on tient compte des emplois directs, indirects et induits.
Le tourisme désigne toujours le fait de voyager hors de ses lieux de vie habituels, et d’y résider de façon temporaire, qui ne dépasse pas une année. C’est un secteur économique qui comprend, en plus de l’hôtellerie l’ensemble des activités à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité.
De nombreux éléments ont contribué à cette croissance continue. Dans le même temps la mondialisation du secteur touristique le soumet à de nombreuses fragilités. Il peut subir de plein fouet les impacts des crises économiques liées à d’autres secteurs d’activités, des incidents climatiques, des guerres, le terrorisme, des mouvements sociaux ou, comme nous le vivons actuellement une crise sanitaire mondiale inédite.
Oui mais : il reste un secteur en capacité de se diversifier et compte par exemple régulièrement de nombreuses nouvelles destinations. Au niveau international il affiche chaque année des résultats record : le nombre de touristes a progressé de 6% au niveau mondial en 2018, atteignant 1,4 milliard de visiteurs. Pour 2019, le tourisme mondial devrait continuer à croître de 3 à 4%, estime l’OMT. Cette croissance dure depuis plusieurs années.
Le tourisme en France
En France, le tourisme est bien un secteur d’activité où elle a toute légitimité d’exprimer son expertise. Avec un seuil des 100 millions de visiteurs internationaux atteint en 2018, elle reste au 1er rang des pays les plus fréquentés au monde. Mais ce secteur, dynamique par ailleurs est souvent décrié et remis en question. Une fréquentation accélérée et parfois mal contrôlée de certains sites est favorisée par une utilisation accrue des moyens de transport, dont le low-cost, avec parfois de forts impacts négatifs sur l’environnement naturel, voir social. L’on assiste au développement de zones touristiques standardisées, coupées de leur environnement, où le rejet des visiteurs par les populations locales n’est pas rare.
Parallèlement, le tourisme est un secteur qui a été particulièrement investi par les nouvelles technologies. Drones, taxis volants, réalité virtuelle, reconnaissance vocale seront le quotidien de nombreux voyageurs du futur. Aujourd’hui même le développement de l’intelligence artificielle entraîne les professionnels du tourisme vers de nouveaux champs d’exploration. De nouveaux codes d’hospitalité, de nouvelles propositions de valeurs, comme l’éco-responsabilité, ouvrent aussi des nouvelles perspectives de services.
Beaucoup d’experts français du tourisme le clame : le tourisme peut se ré-inventer, notamment en explorant quelques grandes aspirations humaines et sociétales.
C’est dans cet esprit que le tourisme généalogique prend tout son sens.
La généalogie : une activité en plein essor, plus accessible, qui se démocratise
La généalogie est une pratique qui a pour objet la recherche de la parenté et de la filiation des personnes. Elle est considérée comme une science auxiliaire de l’histoire. L’on distingue bien le généalogiste amateur, dont l’activité principale se focalise autour de la recherche sur son histoire familiale, du généalogiste professionnel. Ce dernier facture une prestation de recherche généalogique parfois nécessaire pour établir une succession par un notaire après un décès (généalogie successorale) ou à la demande d’un particulier qui souhaite par exemple connaître son histoire familiale (généalogie familiale). En France (69 millions hab.), la Fédération Française de Généalogie (créée en 1968) comptabilise 150 associations régionales regroupant 62 000 membres. Mais on peut estimer aujourd’hui à 5 millions les généalogistes amateurs.
Et ce n’est pas, contrairement à ce que l’on peut croire uniquement l’affaire des retraités ! Internet est passé par là.
Depuis le milieu des années 1990 l’on constate un développement de cette activité comme loisirs. Des outils (plateformes internet, logiciels), gratuits ou payants ont apparu sur le marché international. Mais aussi une augmentation des échanges. Grâce aux réseaux sociaux, blogs (comme généalogiepratique.fr), les amateurs ont la possibilité de se rapprocher d’avantage et de voir leurs recherches facilitées. Il est important de souligner que cette pratique reste un domaine où le bénévolat tient un rôle crucial. Au sein d’associations les bénévoles donnent de leur temps et de leur expertise pour le maintien des services et des activités de généalogie. Ils contribuent également à la promotion de la généalogie.
La meilleure accessibilité aux données, à l’information, est la clé du développement de l’activité généalogique. L’acteur incontournable de la discipline, FamilySearch, organisme détenu par les mormons détient une base de données de 6 milliards d’individus. Les logiciels, les sites internet payants ou les archives numérisés sont présents dans presque tous les Pays. En Irlande « RootsIreland » offre une base de données unique de plus de 22 millions d’irlandais (4,83 millions d’habitants aujourd’hui), provenant de 34 centres généalogiques de l’île. Au Pays-Bas, une plateforme web offre aux généalogistes la possibilité de mettre facilement leurs données et images généalogiques sur Internet en quatre langues.
Des motivations diverses animent les généalogistes amateurs qui rendent la discipline populaire.
- Un souhait de comprendre son passé, de combler parfois des « vides ».
- La solidification de la fierté et le maintien des liens familiaux ; Faire connaître l’histoire de ceux et celles qui portent ou ont porté le patronyme : « souligner le mérite d’ancêtres qui se sont démarqués ».
Certains spécialistes voient même dans l’activité de recherche généalogique une motivation « identitaire ». La recherche de l’histoire familiale, puis son écriture éventuellement sont un enrichissement personnel qui offre à chacun le moyen de se distinguer et « d’immortaliser le passé ».
Aussi les attentes des généalogistes se font plus exigeantes. Il ne s’agit plus de se contenter d’actes de naissance et de décès. Le généalogiste aime désormais pouvoir raconter des histoires, retrouver des photos, en consultant des journaux, des cadastres, des fiches matricules, des passeports, des minutes notariées, … Autant de documents que la technologie numérique actuelle peut lui fournir afin d’aller plus loin dans la connaissance de ses ancêtres.
La dernière « innovation », interdite en France jusqu’à présent, est le recours à des tests ADN à des fins de recherches généalogiques. Un pas de plus vers une nouvelle approche de la généalogie, plus « biologique », qui permet de localiser la patrie des ancêtres. Cette méthode venue d’outre-atlantique, de plus en plus utilisée en Europe, divise, notamment sur le plan éthique et de la protection des données…
Le tourisme généalogique, un retour inédit sur la terre des ancêtres
Alors le tourisme généalogique ? Parfois aussi nommé tourisme des racines ou des ancêtres, il est à la croisée de l’histoire familiale est de l’expérience touristique.
Des anthropologues se sont penchés sur la question et mettent en avant une définition du tourisme des racines se basant sur les pratiques et la finalité de ces voyages. « Il s’agit de rendre hommages aux générations passées, et, surtout, de se réapproprier certains éléments de la culture locale dans l’espoir de parfaire un sentiment ’appartenance, sinon de clarifier une identité. »
Faisons donc tout de suite la distinction entre le tourisme généalogique et le tourisme de mémoire, même si ces deux pratiques de tourisme peuvent être très proches.
En effet, ils ont en commun des connections « ancestrales » avec leurs destinations de vacances. Il s’agit majoritairement d’un tourisme international, qui concerne les pays ayant connus des flux importants d’émigration, ou les populations ayant une diaspora mondiale importante.
Mais la comparaison peut s’arrêter là. Le tourisme de mémoire s’articule principalement autour de guerres et de grands évènements historiques qui ont marqué le passé. Il se définit comme les « champs de bataille, vestiges d’ouvrages de défense, monuments commémoratifs, cimetières militaires et musées » dont la visite permet à la fois d’honorer la mémoire de celles et ceux qui sont tombés lors de ces conflits et de comprendre les événements qui forgent l’histoire nationale et mondiale.
Le tourisme généalogique, s’il peut également avoir comme référence de grands événements historiques ayant marqués le passé, des diasporas, ou d’autres ayant déclenchés des départs de population à travers le monde s’attache plus à l’histoire familiale que nationale. En effet, il correspond à des visites de lieux du quotidien des ancêtres et est caractérisé par la recherche de preuves de l’existence des ascendants dans ces lieux de vie.
Une première motivation pour les généalogistes est de se rendre dans les pays qui proposent des ressources documentaires disponibles, pouvant les aider dans leurs recherches liées à leur histoire familiale. Leur séjour s’agrémente alors d’activités de loisirs, de visites de sites touristiques dans un environnement proches.
On identifie souvent l’origine de cette forme de tourisme aux États-Unis dans les années 1970, parmi les classes moyennes de la population. Les touristes des diasporas ressentent une connexion plus forte par rapport à leur destination de voyage que les autres touristes.
Une autre motivation réside dans le lien particulier qui lie le touriste avec le territoire de leurs ancêtres. C’est pourquoi ils vont aimer visiter les magasins locaux, manger dans des restaurants de gastronomie locale. Et privilégier des hébergements typiques. Ce sont en plus souvent les meilleurs ambassadeurs de la destination une fois rentrés chez eux. Le touriste des racines contrairement au touriste traditionnel, se sent souvent plus proche des habitants. Il participe ainsi généralement beaucoup plus à l’économie locale. Ces visiteurs ne vont pas exclusivement visiter les plus gros sites ou attractions touristiques, mais plutôt des petits villages locaux, plus isolés, authentiques.
Il est intéressant de constater que cela peut contribuer dans certains cas à créer sur la carte de nouvelles destinations, et ainsi de développer l’activité touristique dans une région. Un tourisme qui n’est d’ailleurs pas obligatoirement saisonnier.
Ainsi en Europe le tourisme généalogique est prédominant en Irlande. En Europe centrale, où la seconde guerre mondiale a entraîné de nombreux flux migratoires, le tourisme généalogique juif est très populaire. L’Espagne et notamment la Catalogne, découvre chaque année un peu plus le phénomène grandissant du tourisme généalogique sur son territoire, avec des voyageurs d’origine sud-américaine : « chaque jour, la demande sur le passé et l’histoire est en croissance avec un volet patrimonial important ».
En Afrique, c’est l’histoire lié au commerce des esclaves qui incitent beaucoup d’afro-américains, ou d’autres diasporas africaines à se rendre sur les sites de mémoire. Les vocations entraînant le développement de ce type de tourisme des racines sont parfois déclenchées par des livres, des films contemporains. Comme « Roots » en 1977, série de mini-films, où l’auteur raconte l’épopée de sa famille esclaves qu’il a pu retrouver grâce à de longues recherches dans les archives. Ou encore le dernier film co-produit par l’acteur français Omar Sy, se déroulant au Sénégal : Yao.
Au Ghana le tourisme des ancêtres constitue même un moteur de croissance économique ! Une opportunité de préserver, promouvoir et reconstruire l’héritage national.
Tourisme généalogique ou pèlerinage singulier ?
C’est en effet ainsi que beaucoup de canadiens, québécois, ou américains, ayant des ancêtres en France conçoivent leurs vacances généalogiques. Ils sont de plus en plus nombreux à faire le voyage, à retraverser l’Atlantique dans l’autre sens, pour rendre hommage aux courageux aïeux qui ont tout quitté pour émigrer vers la « Nouvelle-France » au 17ème siècle.
Certains ont déjà effectués des recherches, d’autres pas. La famille Tremblay par exemple compte, à ce jour, plus de 100 000 personnes, et représente 1,15 % de la population totale du Québec. 60 000 Tremblay au Canada reconnaissent Pierre Tremblay (né en 1642) comme leur ancêtre « souche », normand originaire de Randonnai dans le Perche. Des « pèlerinages » sont organisés régulièrement dans ce village pour lui rendre hommage.
Certains lieux vont donc être incontournables : le village de naissance de « l’Ancêtre », éventuellement l’église de son baptême. En Normandie, dans le Perche par exemple, l’on peut apercevoir à Tourouvre les maisons des ancêtres dont les traces du 17ème siècle ont été avérés. Elles ont fait l’objet d’une pose de plaques commémoratives au nom de chaque Ancêtre. Il n’est pas rare de voir leurs descendants aujourd’hui déposer des fleurs devant ces maisons (aujourd’hui habitées, rarement ouvertes aux visiteurs…).
Dans ce même village, se trouve le seul musée français dédié à l’émigration percheronne au Canada. Avec la possibilité souvent pour les visiteurs de compléter son arbre généalogique, grâce à un travail effectué par les acteurs locaux.
Pour certains voyageurs, le tourisme généalogique, c’est également l’opportunité de rencontrer ceux qui aujourd’hui habitent toujours ces mêmes endroits. Grâce à la généalogie, on peut parler de cousins, mais les degrés de parenté sont très éloignés…
Aujourd’hui les individus choisissent leur destination de vacances en fonction des sentiments, des émotions, que leur évoque cette dernière. Cette évolution des motivations de voyages doit être prise en compte par les acteurs des territoires. Le phénomène du tourisme généalogique soulève des questionnements liés à l’identité et aux valeurs du patrimoine. S’il existe déjà quelques offres généalogico-touristiques dans de nombreux pays, il reste énormément à faire du côté des territoires pour organiser ce type de tourisme. En termes d’infrastructures d’accueil notamment.
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