Le voyage généalogique d’un sucrier

Le voyage généalogique d’un sucrier - Le sucrier en faïence lustrée de Jersey 1850 - RacinesVoyages

Ou comment un séjour touristique en Normandie inspire une histoire familiale

Cet article nous est confié par une des participantes au dernier séjour Tourisme & Généalogie du 29 au 31 octobre 2021 à Avranches, organisé par Racines Voyages. Ce fut un beau cadeau, d’un récit autour de la table du déjeuner dans un bistrot d’Avranches, partagé par des passionnés d’histoire familiale. Des réminiscences généalogiques émouvantes, dont le héros est un sucrier ! Merci Maryvonne !

Le « Sucrier », héritage familial mystérieux

Enfant, Maryvonne Ploquien était fascinée par cet objet ventru et brillant, le « Sucrier », héritage familial mystérieux . Il était le réceptacle des petits papiers précieux « à conserver » comme les billets de tombola en attendant le jour du  tirage…

Ayant interrogé ses parents, elle savait que le sucrier provenait de la famille de son père, la famille d’Augustine GOULET sa sosa 21*, mariée avec un certain Louis PLOQUIN. Celui-ci, très ému lors de la signature de son acte de mariage en 1861 à Pontigné, près de Baugé dans le Maine et Loire, avait d’ailleurs ajouté un « e » au patronyme. Ce qui confère à la famille de Maryvonne une petite originalité qu’elle aime bien, le patronyme PLOQUIN étant assez commun en Anjou et Touraine.

Mais revenons au sucrier en faïence si original avec sa couleur cuivrée complétée par un décor floral au pochoir de couleur bleue.  En fréquentant les brocantes angevines, Maryvonne n’a jamais rencontré de poteries similaires. Nul doute que cet objet ne venait pas d’une terre angevine ni des départements voisins !

C’est finalement lors d’une discussion familiale, avec sa cousine Marjorie que l’intuition arriva. Pourquoi cette poterie de terre rouge n’aurait-elle pas été offerte par Charles GOULET, ancêtre de Marjorie et petit-frère d’Augustine, parti travailler à Paris vers 1865 ? Mais après enquête, aucune poterie parisienne fabriquée à l’époque ne ressemblait au sucrier. 

Le grand oncle Charles GOULET

Maryvonne s’est cependant alors intéressée à ce grand oncle Charles, orphelin dès sa naissance. Son histoire est émouvante : né en octobre 1835, cinq mois après le décès de son père, sa naissance sera déclarée par son frère aîné. Il sera élevé, avec ses 9 frères et sœurs par sa mère Marie BALESME : une femme courageuse, exploitante de la métairie de la Motte, une propriété agricole importante à Pontigné.

Charles fera un apprentissage de jardinier et sera désigné comme horticulteur dans les actes d’état civil où il est cité comme témoin à plusieurs reprises. Avec Alfred THORE un voisin originaire de Baugé et horticulteur lui aussi, il décidera d’aller travailler dans la capitale sous la direction du préfet Haussmann. Surnommé le Baron, Georges Eugène Haussmann fut préfet de la Seine de 1853 à 1870, et dirigea les transformations de Paris sous le Second Empire.

Georges Eugène Haussmann

On retrouve ainsi notre horticulteur, Charles, résidant Place des fêtes à proximité du parc des Buttes Chaumont inauguré par Napoléon III le 1er avril 1867. Comment Charles a-t-il contribué à la transformation de Paris ? Participait-t-il aux travaux dirigés par  Jean Charles Adolphe ALPHAND ?  La plus grande contribution de cet ingénieur des ponts et chaussées, responsable du « Service des Promenades de Paris » concerne les jardins et les parcs de la ville.

Grâce aux actes d’état civil, nous savons que Charles fréquentait d’autres horticulteurs comme Alfred THORE son copain du Maine et Loire mais aussi  Florent GAUTHIER  &  Benjamin BIDAULT venus de l’Indre et qu’ils travaillaient donc en équipe.

Le parc des Buttes-Chaumont

En 1860, Napoléon III voulut offrir un grand jardin aux parisiens et aux habitants des nouvelles communes annexées du nord de la capitale, Belleville et la Villette.

Le site des Buttes-Chaumont fut choisi. Renommées pendant prés de 400 ans pour son sinistre gibet de Montfaucon, ses galeries de brigands, elles furent exploitées ensuite pour leurs carrières de calcaire. Sous la Restauration, elles devinrent une décharge à ordures, et même des ateliers d’équarrissage s’y installèrent. C’est pourtant sur ce terrain vague, pollué, composé de glaise et de marne argileuse, à priori impropre à une quelconque culture, que le Baron Haussmann et l’ingénieur Alphand engagèrent les travaux du parc.

Le parc des Buttes-Chaumont

Trois années de construction furent nécessaires : de 1864 à 1867. Il fallut réaliser des terrassements, des remblaiements, créer près de cinq kilomètres de routes, procéder aux plantations et réaliser de nombreux aménagements. Le parc du 19ème arrondissement que nous connaissons a nécessité l’apport d’un million de mètres cube de terre pour que la flore puisse s’épanouir, Des pavillons de gardiens, restaurants, un kiosque à musique… Mais aussi un lac de deux hectares dominé par un promontoire de 30 mètres avec une rotonde surnommée, le « temple de la Sybille » ; une grotte avec une cascade fonctionnant avec de l’eau pompée au canal Saint-Martin ; deux ponts, « le pont suspendu » et « le pont des Suicidés ». Le parc des Buttes Chaumont fut inauguré le 1er avril 1867, en même temps que l’exposition universelle de Paris sur le Champ de Mars. Il est toujours aujourd’hui le 5ème espace vert de Paris en superficie, témoin éclatant de la plus belle réussite du Second Empire en matière de jardins publics.

Mais le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre au royaume de Prusse.

Comprenant aussitôt le danger, Charles Goulet et Marie Joséphine AUBIN se marient le 28 juillet à la mairie du XXe arrondissement après avoir fait un contrat de mariage dès  le 20 juillet 1870. Dans l’acte de mariage, Marie Joséphine AUBIN est dite née en septembre 1843 au Mesnil Drey, petit village de la Manche à quelques kilomètres d’Avranches et de Granville. Sa famille ayant quitté la Normandie pour Paris où on les retrouve marchands de vin.

Église de Mesnil Drey

Faïence lustrée de Jersey

Ce fut finalement Chantal, chère cousine de Maryvonne, qui interrogeant son beau-frère Dave, potier en Angleterre, nous informera sur l’origine du sucrier de couleur or avec une frise dorée à motifs floraux sur une bande bleue. Vestige d’un service à thé ou à café fabriqué par un potier de l’île de Jersey ! Au dix-neuvième siècle, Jersey, centre commercial et maritime important, bénéficie d’une franchise douanière par rapport à la France et à l’Angleterre. Les marins français qui y font escale rapportent fréquemment en souvenir une de ces poteries lustrées, clinquante à souhait. Ces poteries étaient également acheminées et vendues dans les ports normands  par des marins anglais – Honi soit qui mal y pense ! Une devise anglo-normande bien connue…

Carte postale – Jersey

Ce sucrier porte le nom de « faïence lustrée de Jersey ». Produites massivement à partir des années 1810, les faïences lustrées étaient des céramiques en vogue de 1800 à 1930. Elles étaient recouvertes d’une fine pellicule métallisée à base d’or ou de platine. Elles répondaient souvent à une demande des classes moyennes et ont inondé les marchés anglais et américains. Il existait plusieurs qualités, du bon marché à la portée de tout le monde jusqu’aux pièces coûteuses imitant l’argenterie. Et ce pour tout type de service : service à dessert à lustre rose, services à thé et à café. Avec des motifs floraux, avec ou sans relief. On en trouve prés de 200 en vente sur e-bay ! Mais aussi des objets rares tels des porte-montres, des porte perruques, des bouquetiers, des personnages, des animaux ou encore  des pièces commémoratives.

Maryvonne a donc retrouvé l’origine du sucrier et le chemin – peut-être ferroviaire – qu’il a emprunté pour passer par Paris avant d’arriver dans l’escarcelle de ses sosas 10 & 11* : Henri PLOQUIEN, cultivateur et Eugénie JOUSSEAUME, cultivatrice et domestique, qui se sont mariés le 8 juillet 1899 au Vieil-Baugé en Maine et Loire. Un beau cadeau de mariage de la part de Charles Goulet, oncle d’Henri Ploquien et témoin lors du mariage (et toujours horticulteur à Paris à l’âge de 63 ans !).

Des questions restent en suspens

Bien des questions restent en suspens concernant la vie de Charles et Marie-Joséphine qui furent témoins des événements de la Commune : comment ont-ils survécu au siège de Paris ? Se sont-ils engagés avec les fédérés pour défendre la République de Paris ? Ont-ils été attirés par les idées nouvelles ? Venaient-ils souvent à Pontigné avec le train ?

Laissons le mot de la fin à Maryvonne elle-même : « Connaître cette histoire et la partager m’attache encore davantage au fascinant sucrier de mon enfance. Alors, avec leur contemporain, le poète Alphonse de Lamartine, je m’interroge : Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Maryvonne PLOQUIEN



*La numérotation de Sosa-Stradonitz, souvent écrite numérotation Sosa, est une méthode de numérotation des individus utilisée en généalogie.

One comment on “Le voyage généalogique d’un sucrier

  1. Précision : les photos de Charles Goulet & Marie-Joséphine Aubin ont été transmises par Jean-Michel, un cousin du côté de la famille Aubin – Grand merci à lui. Maryvonne

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